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"La banalisation du gaullisme"
Alain Duhamel

Libération - 16/01/1998

 

Depuis un demi-siècle, l'originalité de la droite française tient à l'existence et, à partir de 1958, à la primauté du gaullisme en son sein. Elle se différencie ainsi du reste de l'Europe où la droite est généralement dominée par la démocratie-chrétienne, parfois par les conservateurs, de plus en plus souvent par les libéraux. Cette phase-là s'achève. Non pas que l'emprise du RPR sur la droite parlementaire soit en quoi que ce soit menacée: le plus vraisemblable est même qu'elle ira en s'accentuant et que l'UDF finira par se scinder. En revanche, le gaullisme se distingue de moins en moins des autres formations européennes de droite classique. Il s'impose en se banalisant, il triomphe des centristes et des libéraux en cannibalisant leur idéologie. La droite parlementaire sera de plus en plus gaulliste, parce que le gaullisme se réduira de plus en plus à la droite parlementaire. Lorsque l'actuelle opposition l'emportera de nouveau, ses chefs arboreront sans doute, pour la première fois, des idées libérales sous une étiquette gaulliste. Le "manifeste pour nos valeurs" qu'adoptera le Rassemblement à la fin de ce mois en fournit déjà plus que la présomption. Le parti gaulliste avait jadis trois particularités: un chef de file exceptionnel, une organisation atypique, une idéologie spécifique. Le général de Gaulle avait fondé le RPF et, sous la Ve République, la formation gaulliste vivait dans le culte du grand homme. La stature personnelle de Charles de Gaulle, l'épopée de la France libre, le prestige du président de la Ve République, sa passion intacte et exclusive de la souveraineté, tout cela faisait du parti gaulliste une Eglise dont le prophète n'avait pas de pairs. Avec Georges Pompidou, puis avec Jacques Chirac, la geste s'est éloignée. On descendait de l'Histoire à la politique. Cela fait une génération que Charles de Gaulle est mort. Il est désormais nationalisé. Il n'appartient plus aux gaullistes mais à la mémoire collective des Français. Première originalité évanouie.

La deuxième, plus prosaïque, tient aux structures du Rassemblement. Le RPF, lors de sa fondation, fut un parti de masse organisé sur le mode bonapartiste, revendiquant près d'un million d'adhérents, fonctionnant de manière hiérarchique et autoritaire, sans complexes. Tout cela est fini. Le RPR (bientôt "R") d'aujourd'hui n'a pas 100 000 membres et se démocratise. On va en élire le président et les instances délibératives, comme dans tant de partis de droite parlementaire. Le RPF se différenciait des autres formations de son époque. Le Rassemblement va, au contraire, leur ressembler: le choix de son nom relève de la nostalgie.

D'ailleurs, la maigre et candide cohorte des gaullistes de gauche qui, autrefois, tentaient d'administrer la preuve de l'irréductibilité idéologique du gaullisme, a disparu corps et biens depuis de années. Nul ne revendique plus cette casaque. Le "manifeste pour les valeurs" réaffirme certes avec insistance la primauté de la nation, mais aucune formation parlementaire ne prétend le contraire. Le texte vante aussi la famille, la liberté, la responsabilité, le travail. Aucun groupe parlementaire ne récuse ces valeurs. Ce qui distingue le Rassemblement de la gauche, ce qui l'intègre à la droite classique, c'est sa conversion au libéralisme économique. Le général de Gaulle, notamment sous l'influence de Jacques Rueff, adhérait déjà lui-même à maints aspects du libéralisme. Il prônait cependant la planification souple, la politique des revenus, les grands programmes industriels nationaux. C'était un dirigiste. Ses descendants se sont ralliés au marché, à la concurrence, prenant acte de la mondialisation, pratiquant le partage de souveraineté, l'élargissant même. Le rêve gaullien est devenu un réalisme libéral. C'est beaucoup plus contemporain mais beaucoup moins original.

 


 

© Libération 1998
 

 

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