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"Il est temps de bâtir l'après-gaullisme"
Renaud Dutreil

Le Figaro - 27-28/06/1998

 

Dans Le Figaro du 17 juin, le secrétaire perpétuel de l'Académie  française, Maurice Druon, enjoignait les dirigeants du RPR, et le premier  d'entre eux issu de ses rangs : "De grâce, que nul parti ne s'appelle plus  gaulliste". Au RPR, certains ont approuvé, d'autres se sont récriés. Ainsi Hervé Gaymard, ancien secrétaire d'État à la Santé et député de Savoie, qui le 23 juin répondit à Maurice Druon : "Malgré l'interdiction que vous proférez, je  continuerai à m'appeler gaulliste, et avec moi beaucoup d'autres". Ces deux  tribunes ont suscité une autre réponse, cette fois émanant d'un député qui n'est  pourtant pas issu des rangs du RPR. Renaud Dutreil, député DL de l'Aisne, à  l'origine du mouvement des "refondateurs", estime pour sa part que "le débat  sur le destin du gaullisme est admirable et pathétique".
 

Le débat ouvert par Maurice Druon et Hervé Gaymard sur le destin  du gaullisme est admirable et pathétique. Deux souffrances, deux idéalismes,  deux générations se parlent soudain au milieu du champ de ruines du  postgaullisme et de l'après-Juppé. Chacun alentour, comprenant que la  controverse ouverte par ces deux hommes sincères n'est pas superflue en ces  temps de médiocrité, de chicane et de doute, tend l'oreille. Qui a raison ?  Celui qui était à Londres et qui, affirmant que le gaullisme appartient à la  France seule et non à un parti , à l'Histoire seule et non à quelques ambitions  passagères , l'arrache avec colère des griffes de ses héritiers présomptifs ? Ou  bien celui qui n'y était pas, le jeune ancien ministre RPR qui, à l'heure des  désillusions et de l'opposition, cherche dans l'épopée romantique du Général et  le soutien inconditionnel au président de la République un sens à son engagement  personnel ? Celui qui se souvient, et qui refuse que le présent insulte le passé  ? Ou celui qui cherche dans les vestiges du passé matière à rêver encore ?  Soyons honnêtes : Maurice Druon a laissé ses illusions derrière lui. Les faits  sont avec lui et parlent par sa bouche : « De grâce, que nul parti ne s'appelle  plus gaulliste ! »

Le gaullisme, tout complexe qu'il ait été derrière  l'inévitable simplification de la légende, réunissait trois grandes qualités  difficiles à dégager de la mêlée gallo-française et des joutes politiciennes :  le goût inlassable du rassemblement populaire, l'énergie de la rébellion,  l'amour
absolu d'une France douée d'une personnalité universelle. Que sont-elles devenues ?

Sur le premier point, le procès s'instruit en trois lignes :
1)  La cohabitation, fruit empoisonné d'une Constitution bâtie sur le postulat de l'unité du pouvoir, du peuple et de son chef, exclut le rassemblement du peuple autour d'un projet et d'un chef. Jacques Chirac règne et ne gouverne pas. Son  impuissance juridique le coupe du peuple et c'est son adversaire, Lionel Jospin,  qui dirige aujourd'hui la manœuvre en feignant de le faire pour tous.
2) Le  RPR, instrument officiel du rassemblement gaulliste, subit comme tous les partis  de la droite républicaine une terrible hémorragie populaire ; le Front national,  la Droite de Charles Millon, la gauche nationale mais aussi la montée des  dissidences souverainistes, Charles Pasqua en tête, entament des positions déjà  sérieusement ébréchées par l'échec du gouvernement Juppé, la dissolution et les  luttes de clans. Entre le parti et le peuple, le fossé s'agrandit. Tout autre  parti y survivrait. Pas un parti qui a fait du rassemblement une doctrine.
3) Étrangement, dans la tourmente, la direction du RPR se ferme aux appels de ceux qui, ailleurs, plaident en faveur d'un nouveau rassemblement populaire.  Incapable de sacrifier les habitudes des uns et les intérêts des autres à  l'impératif de « refondation », artisan d'une Alliance dont il ne semble pas  vouloir pousser les feux, le RPR est au milieu du gué, déchiré sur la stratégie,  les idées et le choix du chef. La grâce du rassemblement semble avoir déserté le  Rassemblement !

Sur le chapitre de la rébellion, le constat n'est guère plus  réconfortant : dans la crise politique que traverse l'opposition républicaine, devant ces partis pétrifiés, ces leaders usés, ces chefs anxieux de perdre leurs prérogatives, ce message dépourvu de souffle et d'imagination, il ne devrait y  avoir d'autre voie, pour une jeune ambition, que celle de la résistance et de  l'indépendance. D'autre voix à entendre que celle des Françaises et des Français  qu'Hervé Gaymard comme moi-même rencontrons dans nos circonscriptions. D'autre  aventure à tenter que celle d'une renaissance politique hors des sentiers  battus.
Hervé Gaymard a raison lorsqu'il sent dans le pays « ces forces et cette  énergie immense propres à donner le meilleur d'elles-mêmes », mais il se trompe  s'il les croit prêtes à s'investir dans les vieux moules, les vieilles idées et  les vieilles recettes, fussent-elles estampillées de la croix de Lorraine. Lui  qui paraît si lucide, qu'il transporte ailleurs sa foi gaulliste : il y a longtemps que l'esprit de résistance ne souffle plus dans la maison du père !

Dernier legs du gaullisme : l'amour d'une France à vocation universelle. Là encore, la veine ne produit plus. Entre la tentation nationaliste, qui réduit la  France à un syndicat de défense des adhérents à jour de carte d'identité, et  l'indifférence à la France, qui signale le discours de la plupart des dirigeants  politiques de gauche et de droite, on cherche en vain un cri d'amour, une  passion têtue, une exigence morale qui relèvent la personnalité française au  lieu de l'humilier. Comment, pourtant, ne pas imaginer que cette passion et  cette exigence battent chez beaucoup d'entre nous, à commencer par ceux de notre  génération qu'exaspère le délabrement actuel de l'opposition républicaine ?  Avons-nous choisi la vie politique pour tourner dans les mêmes marmites que nos  prédécesseurs la même soupe insipide ?

Oui, Druon a raison : le gaullisme est  aujourd'hui dénaturé. Oui, Gaymard a raison, il faut bâtir du vrai et du neuf.  Mais le neuf et le vrai d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier. Que chacun trouve  où il veut les ressorts de son énergie, dans le gaullisme, le libéralisme, la démocratie chrétienne ou chez d'autres encore, peu importe ! L'essentiel  aujourd'hui est de résister au régime des partis qui nous éloigne du peuple, de  rassembler dans un mouvement nouveau le nombre immense des bonnes volontés, de  restaurer un idéal français généreux capable de toucher tous nos concitoyens,  sans distinction de condition. Alors peut-être pourrons-nous reparler de  gaullisme. Alors peut-être s'apaisera la juste colère de Maurice Druon... et des  Français.

 

 

© Le Figaro 1998
 

 

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