LE GAULLISME EST-IL DE DROITE ?
Afin de contourner le débat
sans issue de la définition de la droite (l'Ordre ? le
conservatisme ?) et de la gauche (le Mouvement ? le Progrès ?),
cette étude consiste à exposer les parcours politiques et le
positionnement revendiqué par les personnalités et mouvements
gaullistes.
Origine politique de Charles de Gaulle
Positionnement politique de Charles de Gaulle
Origine politique des gaullistes
Positionnement politique des mouvements gaullistes
Origine
politique de Charles de Gaulle
L'appartenance, dans les années
trente, de Charles de Gaulle à la mouvance politique de la démocratie
chrétienne et philosophique du personnalisme chrétien est
souvent méconnue. Elle est pourtant décisive dans la formation
et la compréhension du tercérisme gaulliste. Charles de Gaulle
fréquente en effet quatre lieux rattachés à cette mouvance.
Charles de Gaulle participe
tout d'abord à des réunions et à des colloques de la Jeune République,
résurgence politique après sa condamnation par Pie X du
mouvement daction catholique créé par Marc Sangnier, le
Sillon.
La Jeune République représente l'aile gauche de la démocratie
chrétienne et soutient les gouvernements de gauche du Front
Populaire.
Cest ensuite le
lieutenant-colonel de Gaulle qui ordonne et conclut, anonymement,
les débats organisés par le quotidien L'Aube entre le 7
et le 23 novembre 1933 sur les armées de conscription ou de métier.
Fondé en 1932 et dirigé par Francisque Gay (issu du Sillon), L'Aube
est en effet un point de rencontre entre les membres des partis
politiques (Parti Démocrate Populaire et Parti de la Jeune République)
et des syndicats (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens)
qui se réclament de la démocratie chrétienne.
Charles de Gaulle sabonne
également à Sept, hebdomadaire créé en mars 1934 par
les éditions dominicaines du Cerf dans le prolongement de la
condamnation de lAction Française par Pie XI.
Situé à laile la gauche de la démocratie chrétienne, Sept
se saborde cependant en août 1937 à la demande de sa hiérarchie,
après les dénonciations successives dont il a fait lobjet
de la part des catholiques de droite et des évêques italiens et
espagnols. Un groupe de laïcs assure toutefois à partir de
novembre 1937 lhéritage légué par Sept en
publiant lhebdomadaire Temps présent, avec pour
directeur de la rédaction Stanislas Fumet.
Abonné à Temps présent, Charles de Gaulle adhère également
aux Amis de Temps présent, cercle militant des lecteurs de lhebdomadaire.
Dans son dernier numéro de juin 1940 Temps Présent salue
ainsi la nomination de Charles de Gaulle au poste de sous-secrétaire
d'État à la guerre dans le gouvernement de Paul Reynaud à
travers un texte intitulé "Les Amis de Temps présent à lhonneur".
Enfin, Charles de Gaulle fréquente
les membres du groupe de réflexion personnaliste LOrdre
Nouveau, participant en 1934-1935 à certaines de ses réunions.
Créé en 1930 par Alexandre Marc-Lipiansky, avec Arnaud Dandieu
et Robert Aron, LOrdre Nouveau publie de mai 1933 à
septembre 1938 une revue éponyme dont le premier numéro définit
ainsi la démarche : "Contre le désordre
capitaliste et loppression communiste, contre le
nationalisme homicide et linternationalisme impuissant,
contre le parlementarisme et le fascisme, LOrdre nouveau
met les institutions au service de la personnalité et subordonne
lÉtat à lhomme".
Charles de Gaulle est entré en relation avec LOrdre
Nouveau par lintermédiaire dHenri Daniel-Rops (Henri
Petiot), qui collabore également aux hebdomadaires Sept et
Temps nouveau. Cest également à la demande dHenri
Daniel-Rops que Charles de Gaulle entreprend la publication de
ses études historiques sur l'armée française. Il publie ainsi
en 1938 La France et son armée aux Éditions Plon, dans la
collection "Présences", dirigée depuis 1935 par Henri
Daniel-Rops.
Si gaullisme et démocratie-chrétienne
convergent sur la doctrine sociale, ils divergent cependant
rapidement quant à la conception de la Nation : l'unitarisme et le souverainisme des gaullistes s'oppose au fédéralisme des démocrates-chrétiens
et des personnalistes.
Positionnement
politique de Charles de Gaulle
Charles de Gaulle s'est
toujours refusé à se positionner sur l'axe droite/gauche.
Ce refus a deux origines :
le nationalisme gaulliste :
"La France, c’est tout à la
fois, c’est tous les Français. C’est pas la gauche, la France ! C’est pas la
droite, la France ! Naturellement, les Français comme de tout temps, ressentent
en eux des courants. ...Prétendre faire la France avec une fraction, c’est une
erreur grave, et prétendre représenter la France au nom d’une fraction, cela
c’est une erreur nationale impardonnable. Vous me dites : à droite, on dit que
je fais une politique de gauche au-dehors ; à gauche, du reste vous le savez
bien, on dit : de Gaulle, il est là pour la droite, pour les monopoles, pour je
ne sais quoi. Le fait que les partisans de droite et les partisans de gauche
déclarent que j’appartiens à l’autre côté, prouve précisément ce que je vous
dis, c’est-à-dire que, maintenant comme toujours, je ne suis pas d’un côté, je
ne suis pas de l’autre, je suis pour la France."
(Charles de Gaulle, 15/12/1965)
le tercérisme gaulliste :
recherche
d'une troisième voie sociale entre la capitalisme et le
socialisme marxiste (l'Association capital-travail ou
Participation), recherche d'une troisième voie internationale
entre les États-Unis d'Amérique et l'Union soviétique, etc.
"On comprend donc très bien pourquoi nous, qui voulons
la France agissante et indépendante, nous trouvons devant nous
deux catégories d'opposants. D'un côté, ou, comme on eût dit
jadis, "à notre gauche", les séparatistes [NDLR
: les communistes]. De l'autre côté, ou, "à notre
droite", la coopérative de conservation politicienne et
sociale qui, pour le moment, s'appelle : Troisième Force [NDLR
: socialistes, radicaux, démocrates-chrétiens et libéraux].
Je ne commettrai certes pas l'erreur ni l'injustice de mettre sur
le même plan les opposants des deux espèces. Les premiers sont
les ennemis de l'État. Les seconds ne font que lui nuire. Mais
les uns, comme les autres, font obstacle au redressement. Il en
est ainsi, d'abord pour ce qui concerne la question principale,
celle qui est au fond du drame de notre siècle, je veux dire la
question de la condition ouvrière."
(Charles de Gaulle,
01/05/1950).
Origine
politique des gaullistes
Si la plupart des dirigeants
actuels du RPR sont entrés en politique par le gaullisme,
certaines personnalités entrées en politique par le gaullisme
sont aujourd'hui au Parti Socialiste (exemple de Michel Vauzelle,
président en 1974 du Comité National de Soutien des Jeunes à
Jacques Chaban-Delmas).
Plus intéressante est donc l'étude
de l'origine politique des dirigeants gaullistes antérieurement
à la création du RPR. De 1947 (création du RPF) à 1976 (création
du RPR), le poste de secrétaire général du mouvement gaulliste
majoritaire a été occupé par 21 personnes : aucune d'entre
elles ne vient de la droite ; quatre d'entre elles viennent de la
gauche (Jacques Soustelle, René Capitant, Jacques Baumel, Yves
Guéna) ; une d'entre-elles vient du centre laïc (Jacques Chaban-Delmas)
; quatre d'entre elles viennent du centre démocrate-chrétien (Louis Terrenoire, Edmond Michelet, Roger Dusseaulx, Jean Charbonnel) ;
une a sympathisé avec l'extrême-droite (Alexandre Sanguinetti)
; les onze autres n'ont pas de passé politique.
Jacques Soustelle (RPF, 1947-1951)
: né en 1912. Avant-guerre : Comité de Vigilance des
Intellectuels Antifascistes (CVIA). Union Démocratique et
Socialiste de la Résistance (UDSR) puis RPF.
Louis Terrenoire (RPF, 1951-1954 ;
UNR, 1962) : né en 1908. Avant-guerre : syndicaliste et
journaliste démocrate-chrétien. Mouvement Républicain
Populaire (MRP) puis RPF.
Jacques Foccart (RPF, 1954-1955) :
né en 1913. Sans passé politique à son adhésion au RPF.
Jacques Chaban-Delmas (Républicains
Sociaux, 1954-1958) : né en 1915. Parti Républicain Radical et Radical-Socialiste
puis RPF (en 1950 le Parti Radical interdit la
double-appartenance avec le RPF).
Edmond Michelet (Républicains
Sociaux, 1958) : né en 1899. Avant-guerre : militant démocrate-chrétien.
Mouvement Républicain Populaire (MRP), fondateur en 1947 du
Mouvement des Républicains Populaires Indépendants, qui
regroupe les exclus ou démissionnaires du MRP pour double-appartenance
avec le RPF.
Roger Frey (UNR, 1958-1959) : né
en 1913. Sans passé politique à son adhésion au RPF.
Albin Chalandon (UNR, 1959) : né
en 1920. Sans passé politique à son adhésion au RPF.
Jacques Richard
(UNR, 1959-1961) :
né en 1918. Sans passé politique à son adhésion au RPF.
Roger Dusseaulx
(UNR, 1961-1962) :
né en 1913. Mouvement Républicain Populaire (MRP), Mouvement
des Républicains Populaires Indépendants puis RPF.
René Capitant (UDT, 1959-1962) :
né en 1901. Avant-guerre : Comité de Vigilance des
Intellectuels Antifascistes (CVIA). Union Démocratique et
Socialiste de la Résistance (UDSR) et Union Gaulliste puis RPF.
Union Démocratique du Travail (UDT, gaullistes de gauche) puis
UNR-UDT.
Jacques Baumel
(UNR-UDT, 1962-1967)
: né en 1918. Union Démocratique et Socialiste de la Résistance
(UDSR ; président du groupe UDSR en 1946) puis RPF.
André Fanton
(UNR-UDT, 1967-1968)
: né en 1928. Sans passé politique.
Jean Charbonnel
(UNR-UDT, 1967-1968)
: né en 1927. Sympathisant du Mouvement Républicain Populaire (MRP)
puis RPF.
Robert Poujade (UNR-UDT, 1967-1968
; UDVème, 1967-1971) : né en 1928. Sans passé politique à son
adhésion au RPF.
Jean Taittinger (UNR-UDT, 1967-1968)
: né en 1923. Sans passé politique.
René Tomasoni (UNR-UDT, 1967-1968
; UDR, 1971-1972) : né en 1919. Sans passé politique.
Alain Peyreffite (UDR, 1972-1973)
: né en 1925. Sans passé politique.
Alexandre Sanguinetti
(UDR, 1973-1974)
: né en 1913. Participe en 1957 à la création du Parti
Patriote Révolutionnaire (PPR, extrême-droite ralliée au
gaullisme) avec Jean-Baptiste Biaggi.
Jacques Chirac (UDR, 1974-1975) :
né en 1932. Sans passé politique.
André Bord (UDR, 1975-1976) : né
en 1922. Sans passé politique avant son adhésion au RPF.
Yves Guéna (UDR, 1976) : né en
1922. Union Démocratique du Travail (UDT, gaullistes de gauche)
puis UNR-UDT.
Positionnement
politique des mouvements gaullistes
Le Rassemblement du Peuple Français (RPF)
: le RPF se situe dans l'opposition au régime des
partis de la IVème République, au-delà donc du clivage droite/gauche.
Présidé par Charles de Gaulle, le RPF est le seul mouvement à
réunir tous les gaullistes.
Les mouvements gaullistes de gauche depuis
1958 : se positionnent à gauche, avec bien souvent la
revendication de l'étiquette "travailliste" voire
"socialiste".
Après la démission de Charles de Gaulle de la présidence de la
République (1969), les mouvements gaullistes de gauche se sont
divisés en deux catégories : ceux qui se sont apparentés au
mouvement gaulliste majoritaire pour en former l'aile sociale, et
ceux qui ont rejoint l'opposition de gauche afin d'en former une
composante gaulliste.
De l'Union pour la Nouvelle République (UNR)
au Rassemblement pour la République (RPR) :
Sous Charles de Gaulle le gaullisme se positionnait au
centre de l'échiquier politique, entre la gauche (PCF, SFIO) et
la droite (CNIP), mais sans se confondre avec le centre radical
ou démocrate-chrétien : "Des hommes et des femmes
appartenant à des familles politiques différentes attendent que
nous leur fassions signe. Ce signe ne tardera pas, et nous
verrons alors où est le véritable parti du centre, d'un centre
qui ne sera pas le marais où on prétend nous faire patauger"
(Roger Frey, 28/02/1965).
Après la phase algérienne de la Vème République (1958-1962),
la majorité gaulliste s'élargit à partir de 1962 à une partie
de la droite (les Républicains Indépendants de Valéry Giscard
d'Estaing) puis à partir de 1969 à une partie du centre (le
Centre Démocratie et Progrès).
Dans un contexte de rénovation de la gauche socialiste, Jacques
Chaban-Delmas n'hésite pas à revendiquer pour sa "nouvelle
société" l'étiquette socialiste : "Du Socialisme,
nous en faisons tous les jours" (Jacques Chaban-Delmas, Le
Monde, 29/06/1971) ; "Il faut mettre l'économie au
service de la société, et la société au service de l'Homme (...)
Voilà ce que j'appelle le socialisme. Mais si l'on n'appelle pas
cela "socialisme", cela m'est complètement égal"
(Jacques Chaban-Delmas, Témoignage Chrétien, 01/03/1973).
Le Rassemblement pour la République (RPR)
de 1976 à 1981 :
De 1976 à 1981 le RPR se situe à la gauche de l'Union
pour la Démocratie Française (union de la droite et du centre)
; la création du RPR a en outre pour objectif affiché de
renouer avec un gaullisme populaire et social. Les propos de
Jacques Chirac à cette époque sont significatifs : "Rien
ne serait pire que la tentation de nous placer à droite. Il est
clair que le mouvement gaulliste ne peut pas dans l'avenir être
classé à droite. Pour cela, il y a d'autres mouvements
politiques parfaitement adaptés. Mais il ne suffit pas de l'affirmer
par des applaudissements. il faudra l'affirmer par des actes"
(Jacques Chirac, Le Monde, 01/07/1975) ; "Le grand
rassemblement auquel je vous convie devra allier la défense des
valeurs essentielles du gaullisme aux aspirations d'un véritable
travaillisme français" (Jacques Chirac, discours d'Égletons,
03/10/1976) ; "Nous refusons tout autant le programme démagogique de la
gauche socialo-communiste que les solutions de la droite conservatrice,
orthodoxe, classique, avec laquelle nous sommes pour l'instant associés dans la
majorité" (Jacques Chirac, discours de Metz, 20/10/1977) ; "Il y a en France une sensibilité social-démocrate.
C'est au RPR que vous la trouverez" (Jacques Chirac, Le
Monde, 28/10/1977) ; "Le créneau social-démocrate
est occupé sociologiquement par le RPR. L'inspiration social-démocrate
est proche du projet gaulliste" (Jacques Chirac, Le
Quotidien de Paris, 18/11/1977), etc.
Le Rassemblement pour la République (RPR)
de 1981 à 2002 :
Après l'élection de François Mitterrand à la présidence
de la République le RPR passe d'une critique de gauche du
septennat de Valéry Giscard d'Estaing à une critique de droite
("le socialisme rampant").
En 1978, 30% des cadres du RPR se positionnent ainsi au centre-gauche,
52% au centre, 17% au centre-droit et 1% à droite ; or, en 1984, 2%
seulement des cadres du RPR se situent encore au centre-gauche,
26% au centre, 63% au centre-droit et 9% à droite (Pierre Bréchon,
Jacques Derville, Patrick Lecomte, Les cadres du RPR,
Paris : Economica, 1987). C'est ce que les politologues ont appelé
le "moment néo-libéral du RPR" (Jean Baudouin, Revue
Française de Science Politique, décembre 1990).
Certains gaullistes se sont cependant opposés à cette "dérive
droitière du RPR" (Philippe Séguin, Le Nouvel
Observateur, 03/05/1984) ; l'aboutissement de cette démarche
est la motion Séguin/Pasqua en février 1990 aux assises du
Bourget (31,4%). La campagne de Jacques Chirac pour l'élection
présidentielle de 1995 a consacré un retour éphémère au
gaullisme républicain et social, que certains avaient tenté de perpétuer
(Philippe Séguin, Jacques Godfrain).
Depuis la création de l'Union pour la Majorité
Présidentielle (UMP) :
L'autodissolution du RPR, le 21
septembre 2002, a mis un terme au gaullisme de parti. Au sein de l'Union pour la
Majorité Présidentielle (UMP), le nouveau grand parti de droite, s'est toutefois
créé un "courant gaulliste et républicain" : Debout la République
(Nicolas Dupont-Aignan).
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